Jean a cinquante ans de voile au compteur. Il connaît par cœur Little Wing, son First 30 blanc à liseré rouge, sur lequel il a déjà traversé l’Atlantique Nord. Quand du gros temps est annoncé alors qu’il est amarré à une bouée dans la baie de Cannes (Alpes-Maritimes), ce 26 septembre 2022, il ne met pas longtemps à réagir. Le marin aguerri se réfugie derrière Sainte-Marguerite, la plus grande des deux îles de Lérins. « Plusieurs bateaux s’y trouvaient quand je suis arrivé, se souvient-il. Ils sont partis un à un se mettre à l’abri au port. » Mais lui n’a pas d’anneau dans les environs. Il préfère rester là plutôt que de chercher une place dans une marina bondée.
Le vent forcit tandis que le soleil se couche derrière la petite île recouverte de pins. Les prévisions météo anticipent un mistral de 40 nœuds. Le sexagénaire arrime son kayak, relève son échelle. Il plonge en apnée pour vérifier que son ancre est bien plantée dans le sable, sort 30 mètres de chaîne et autant de câblot. « J’avais tout préparé », résume-t-il.
Le navigateur n’avait pas prévu une chose : l’arrivée d’un autre voilier à la tombée de la nuit. L’embarcation de 46 pieds (14 mètres), bien plus imposante que le Little Wing, s’installe à moins de 30 mètres de lui. « Il y avait de la place pour vingt bateaux, mais il a fait le choix de mouiller droit devant moi, dans l’axe du vent », s’étonne encore Jean, plusieurs mois après les faits. Il hésite à remettre son kayak à l’eau pour aller discuter avec le skipper du voilier battant pavillon allemand. Leurs embarcations lui semblent trop proches. Avec le coup de vent annoncé, ils risquent la collision. Mais difficile de sermonner un autre marin en pleine mer. De plus, l’athlétique retraité à la barbe blanche a déjà revêtu son pyjama et il fait nuit noire.
Inquiet, il descend se coucher dans la cabine de son voilier de 9 mètres. « J’ai enclenché mes deux alarmes de mouillage, mais j’avais un mauvais pressentiment », se souvient-il.
Il dort d’un œil et passe la tête dehors toutes les trente minutes pour s’assurer que tout va bien. Vers 4 heures, il finit par s’assoupir pour de bon. « Un grand boum » réveille soudain le marin. Il se précipite sur le pont : le mouillage de l’autre navire a chassé et il a percuté Little Wing. Les chaînes des deux bateaux se sont emmêlées et ils dérivent vers une ferme aquacole. La situation est critique.
Pour la première fois de sa vie, il appelle les secours
Les occupants de l’autre bateau réussissent heureusement à séparer les deux embarcations. Jean est laissé à son sort dans des creux de 2 mètres et un vent de 35 nœuds.